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Partage avec l’Espace Ethique de la Réunion

Prise en charge des enfants comoriens étrangers en hémodialyse 

Saisine du Comité Local d’Ethique du CHU Félix Guyon. Avis de l’Espace éthique de La Réunion

vendredi 17 juin 2016 par JMT

L’Espace Ethique de la Réunion a proposé, lors de sa conférence de presse du jeudi 16 Juin 2016 à L’ArbraDélis à Saint-Denis, sa vision sur "un problème reste néanmoins très complexe avec de nombreux enjeux étatiques, économiques, politiques, sociétaux, religieux, philosophiques".

Conférence de presse du jeudi 16 Juin 2016 à l’ArbraDélis

de gauche à droite : Dr Vincent DUSSOL, Dr Edouard KAUFFMANN, Dr Bruno BOURGEON

Saisine du Comité Local d’Ethique du CHU Félix Guyon. Avis de l’Espace éthique de La Réunion

Objet : « Prise en charge des enfants comoriens étrangers en hémodialyse ».

Problématique

Le Département de l’île de la Réunion représente un pôle sanitaire très attractif pour les pays de la zone. Les liens historiques qui unissent ces territoires à la France sont traditionnellement mis en avant pour légitimer des flux migratoires qui malheureusement sont de plus en plus difficiles à contrôler. S’agissant de Mayotte notamment, devenu récemment le 101e département français, cette île se situe actuellement au centre d’un réseau d’immigration en provenance des autres îles de l’archipel, favorisé et relayé par un certain nombre de dispositifs juridiques et administratifs qui facilitent et encouragent ces flux migratoires.

L’immigration clandestine de patients issus de l’archipel des Comores vers l’île française de Mayotte soulève des problèmes économiques et politiques mais aussi et surtout des problèmes sanitaires qui bien souvent sont à l’origine de ces déplacements de population. En effet 11% de cette immigration est motivée en effet par des problèmes de santé incitant les candidats à l’immigration à passer outre les barrières douanières, linguistiques et éducatives. C’est ainsi que l’on verra affluer une population souvent jeune, ne parlant pas français mais une langue dérivée du swaheli, le shimaoré, pour des pathologies diverses parfois chroniques, mais aussi et surtout des femmes comoriennes, des femmes venant de l’Afrique de l’Est et jusqu’au bassin du Congo, espérant accoucher dans de meilleures conditions sanitaires à Mayotte. Et bénéficiant du droit du sol.

En filigrane de ces problèmes de santé se posent des problèmes d’économie de santé. Le tissu hospitalier de Mayotte n’est pas prévu pour soigner un bassin de population de 600000 habitants, sur lesquels vont se greffer des questions éthiques inévitables : faut-il soigner ces consultants ? Faut-il signaler leur clandestinité ? Et surtout, puisque les réponses à ces deux premières questions sont évidentes, oui pour le première, non pour la seconde, qui faut-il soigner et comment respecter dans ce contexte la dignité de leurs conditions de vie, conséquence de la séparation familiale, du respect des coutumes, des nécessités d’hébergement ? Cette prise en charge médicale va inévitablement à terme se répercuter sur l’île de la Réunion appelée à accueillir des pathologies plus complexes nécessitant une prise en charge plus spécialisées. Ces pathologies nécessitent aussi bien souvent une prise en charge de longue durée.

Le fond de notre société repose sur des racines judéo-chrétiennes et si l’on se réfère aux textes bibliques et plus particulièrement à la parabole du bon samaritain (Luc 10 ;25-37), on constate que la proposition de prise en charge de l’étranger souffrant n’est pas une prise en charge partielle mais une prise en charge globale et complète. Non seulement le bon samaritain soigne le malade mourant (soins médicaux d’urgence), mais il l’installe à l’hôtel (prise en charge de l’hébergement) et enfin il remet à l’hôtelier de l’argent pour pourvoir à ses besoins jusqu’à ce que le malade se rétablisse (financement de la convalescence).

La morale chrétienne, la plupart des morales religieuses et l’éthique humaniste s’accordent sur le fait qu’il faille prendre en charge de manière globale (médicale et sociale) l’étranger souffrant quand il se trouve sur notre route, a fortiori si il est mineur. Cependant cette prise en charge implique de la part du bon samaritain un sacrifice (financier, de temps et une implication émotionnelle, etc…). Quand cette décision est personnelle, elle ne peut être que louable. Toutes les initiatives individuelles sont donc les bienvenues. La prise en charge hospitalière des enfants comoriens malades a, quant à elle, un coût financier collectif et implique donc un effort de la collectivité. Son amélioration va forcément apporter des coûts supplémentaires. Cet effort doit donc être accepté et consenti par la population. Une décision unilatérale (par des technocrates qui eux même ne font aucun sacrifice important) de l’augmentation de ce financement aux dépens des ressortissants nationaux pourrait être mal perçue par la population et induire des réflexes xénophobes.

La position de l’Espace éthique

Face à un tel défi humanitaire nous tenterons d’aborder ici cette question difficile et récurrente sous un autre jour, avec réalisme et pragmatisme, en sortant des sentiers battus et du politiquement correct, au risque d’être parfois iconoclaste. Il ne faut pas se voiler la face. Il apparaît tout d’abord que les services déconcentrés de l’État français comme ceux de la Caisse de sécurité sociale poursuivent des enjeux qui s’éloignent bien souvent du respect de la dignité humaine. En outre les budgets accordés à cette question sont détournés de leurs objectifs premiers car ne prennent pas en compte les problèmes à leur origine. Ainsi la précarité du système de santé comorien démontre la nécessité de plus en plus urgente de mettre en place un co-développement avec l’Union des Comores. Ceci aurait pour effet d’atténuer les flux migratoires et plus particulièrement ceux venant d’Anjouan —Anjouan a manifesté des velléités d’autonomie — ces flux migratoires étant encouragés par la gratuité de la prise en charge de ces affections, les avancées techniques et économiques, le système éducatif à Mayotte et de plus favorisés par sa proximité avec le reste de l’archipel. La départementalisation de Mayotte, son développement et les transferts financiers ont accru les inégalités et les frustrations entre l’union des Comores et Mayotte. L’offre de soin sur Mayotte fait donc office d’aspirateur pour la répartition de soins sur les îles de l’union des Comores. Le développement de la dialyse à Mayotte amplifie le transfert de cette activité des Comores vers Mayotte alors que paradoxalement le développement de la dialyse sur Grande Comore a été financé par le gouvernement et l’effort national français. On observe un détournement de l’utilisation des moyens alloués à Mayotte au profit des habitants de l’union des Comores tant pour l’insuffisance Rénale que pour la sécurité périnatale. En outre le Centre hospitalier universitaire sud de Saint Pierre accueille les patients psychiatriques et ceux relevant de la neurochirurgie. Le retour au pays de ces patients s’avère problématique. Le centre hospitalier nord de Saint-Denis est équipé pour recevoir les grands brûlés, les enfants relevant de la chirurgie, les grossesses pathologiques dans une maternité de niveau III, les insuffisants rénaux chroniques nécessitant des séances d’épuration extrarénale et une éventuelle greffe rénale. Ces derniers, immigrés des Comores surtout, sont donc « condamnés » à demeurer à la Réunion un certain temps, voire définitivement. Le groupe privé Clinifutur, accueille les patients pour des soins de cardiologie interventionnelle ou d’oncologie. L’agence française du développement a travaillé il y a quelques années pour mettre en place une structure ou revaloriser un établissement existant avec cette activité, mais le programme s’est arrêté. Un programme avait également été mis en place en partenariat avec Clinifutur et le gouvernement seychellois. Ce programme avait également été stoppé alors que l’ardoise se montait à 350 000 euros. Une renégociation est en cours.

Dans la pratique quel que soit le cas qui se présente, il importe pour l’hôpital de s’assurer de la solvabilité du patient soigné. Or le passage de son dossier devant la Commission d’évacuation sanitaire de Mayotte devrait être une garantie en ce sens : une Evasan (évacuation sanitaire) acceptée a toujours un payeur. Le rôle de cette Commission, surtout depuis l’installation de la Sécurité Sociale à Mayotte, prend une dimension centrale. C’est un rôle d’entonnoir, de filtre dont l’aléseur est déterminé par le type de pathologie, mais aussi imposé par la question financière. Dans la pratique cependant il semble que ce verrou ne soit pas toujours opérationnel.

Le co-développement de la santé aux Comores mérite une attention particulière : le budget consacré par l’état français pour la prise en charge des patients clandestins comoriens pourrait être consacré, progressivement, à ces programmes de co-développement, particulièrement dans le domaine de la santé. Sur un plan juridique tous les patients Comoriens arrivés sur le territoire français doivent être pris en charge d’autant plus quand ils sont mineurs. Notre constitution française défend le principe de fraternité, les droits de l’homme et du citoyen (inaliénables et sacrés). On note dans l’article 11 du préambule de 1946 : la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé,... (Cet article contrairement à l’article 12 sur la solidarité ne fait pas de distinction en faveur des français). Cependant il nous faut rester vigilants afin que cet héritage dont on peut être fier et auquel nous souscrivons sans réserve, triptyque républicain, droits de l’homme et leurs applications juridiques et administratives locales, droit du sol, regroupement familial, continuité territoriale, pourraient être facilement détournés de leur vocation première par opportunisme, clientélisme au profit d’une immigration clandestine qui deviendrait alors totalement incontrôlable.

Il est bon de rappeler que sur un plan anthropologique pour les sociétés traditionnelles dites holistes, la morale collective prime sur la morale individuelle et l’intérêt du groupe l’emporte toujours sur les intérêts privés. Ce type de fonctionnement l’emporte largement et encore aujourd’hui sur toute autre conception y compris sur nos valeurs humanistes républicaines héritées des Lumières et de 1789. Conséquence de cet état de fait et en l’absence d’évolution sociétale concertée ce qui est peu probable, les droits de l’homme pourraient bien nous enfermer dans nos seuls devoirs et titulariser les populations migrantes dans leurs seuls droits. Une autre étape de cette dialectique serait de proposer une réflexion Ethique au niveau de l’union des Comores comme un garant supplémentaire au service de la même dialectique migratoire.

S’agissant des pathologies à prendre en charge dans la durée, le déracinement du patient est à prendre en compte d’autant plus s’il est mineur et peu ancré dans sa culture ! La durée du séjour, l’isolement du patient de sa famille, vont perturber ses repères culturels, éducatifs et sociaux ! Or on note une faible implication des familles immigrées déjà insérées dans le tissu social à la Réunion ce qui nous laisse seuls et sans solution pérenne dans nos obligations à l’égard des droits de l’homme. Une évolution pourrait se matérialiser par une implication importante de la société comorienne sur la terre d’accueil. Cela pourrait atténuer l’isolement du patient sans limiter la charge financière liée aux soins ; l’implication de la société comorienne immigrée devrait être encouragée afin d’éviter la solitude et l’isolement des patients. La fraternité ne se conçoit pas que dans un sens…. Un développement du tissu associatif prenant en charge les hébergements de patient transférés devrait être encouragé. Le questionnement porte sur une prise en charge globale, quelle que soit la pathologie motivant l’EVASAN, incluant les frais de voyage, d’hébergement et de prise en charge technique, médicale, mais aussi sociale, associative de proximité, si le séjour devait se prolonger à La Réunion ! L’hébergement en post-hospitalier, le concours d’un traducteur à toutes les étapes afin de faire comprendre ce qui se passe, d’obtenir l’assentiment, ainsi que prévoir une scolarisation paraissent des éléments nécessaires afin d’optimiser une prise en charge optimale de longue durée, s’agissant notamment des mineurs, si tel est le choix de société que l’on retient dans les rapports Franco-comoriens. On peut également opter pour un modèle favorisant le développement du tissu médical et de l’offre de soin sur les Comores en mettant en place des structures adaptées financées par les moyens utilisés pour ces évacuations sanitaires, cela nécessitera une enveloppe spécifique au départ. Le financement de structures médico-sociales comoriennes à grande échelle serait une alternative plus humaniste.

En conclusion

Rappelant avec force la mission de l’Espace Ethique à laquelle nous souscrivons et les valeurs humanistes qui animent notre réflexion, la collaboration au plan sanitaire avec Mayotte et par voie de conséquence avec l’union des Comores doit être loyale et transparente. Il est nécessaire que ces deux entités « jouent le jeu » dans la mise en place de ce tissu médico-social comorien et collaborent étroitement dans l’intérêt du patient. Le problème reste néanmoins très complexe avec de nombreux enjeux étatiques, économiques, politiques, sociétaux, religieux, philosophiques ! A chaque étape, la logique éthique se voit « pervertie » par des enjeux qui dépassent de loin la simple logique du bon soin, à la bonne personne, au bon moment, au bon endroit et avec les meilleures intentions du monde.

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RADIO

* Interview du Dr Edouard Kauffmann, président de l’Espace Ethique de la Réunion entre 8’47 et 10’04 du Journal de 7h de Radio Réunion

PRESSE LOCALE

* JIR du 17 Juin 2016

Article du JIR

* Le Quotidien du 17 juin 2016

LIENS

* Luttons contre les habitudes mortifères ? PANEGYRIQUE DES PESTICIDES par le Dr Bruno BOURGEON du 10 Mai 2016

* Partage avec l’Espace Ethique de la Réunion : Réflexions éthiques sur la santé connectée par le Dr Bruno Bourgeon, Vice-président de l’Espace éthique de La Réunion du 25 avril 2016


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