AID Association initiatives dionysiennes
À huit mois de la COP 21

TOUT LE MONDE SE FOUT DE L’ECOLOGIE

mardi 26 mai 2015 par JMT

Le thermomètre se réchauffe, les espèces s’effacent, le temps s’épuise. Les populations fuient leur terre et frappent à la porte des nantis. De nouvelles maladies émergent. Mais rien de cela ne produit l’électrochoc. « C’est une triste chose de songer que la nature nous parle et que le genre humain n’écoute pas », écrivait Victor Hugo. Nous sommes conditionnés pour nier toute empathie envers cette planète.

À huit mois de la COP 21, la dégradation de l’environnement ne préoccupe pas les Français, et passe après l’emploi, l’immigration, la hausse des prix, les inégalités, l’insécurité, l’éducation et le logement, mais devant les banlieues. Or tous ces points ont une solution écologique. Et des progrès ont été faits : en 20 ans, on consomme 2 t de moins de matière, en 15 ans, 3% de moins d’eau. Mais tout ceci est insuffisant. Il y a des réactions de blocage.

Les dirigeants font de la résistance

Les questions écologiques ne font pas partie de la pensée politique : 12 ministres en 15 ans, contre 6 ministres de la Défense, coupes budgétaires à répétition, disparition de l’écotaxe votée à 6 reprises. La centralisation de l’état, les corps administratifs peu sensibles à ces questions systémiques, l’expérimentation et la culture françaises ambivalentes à l’égard de la nature, sont des explications.

Les écologistes pas très vendeurs

Les partis politiques « écologistes » et les organisations environnementales ne se font pas entendre. Le discours d’EELV est trop conceptuel, les cadres considèrent que leurs idées étant les meilleures, elles s’imposeront d’elles-mêmes. Souvent perçues en France comme sous-fifres de l’action publique, les associations environnementales doivent se réinventer. Or, que ce soit en matière de transports, d’habitat, d’alimentation, de consommation, de simples citoyens inventent de nouvelles vies : pourquoi ne pas les soutenir ?

Les entreprises qui avancent en reculant

Les entreprises ont évolué dans leurs discours ces 15 dernières années ; elles ont conscience des enjeux environnementaux. Mais il est des freins puissants : les produits chimiques, la production de CO2 pour les véhicules, les résistances agricoles. Les savoir-faire sont là, mais repenser le modèle, convaincre les actionnaires : impossible.

Le dialogue de sourds avec les scientifiques

La science reste perçue comme facteur de progrès, mais une majorité de personnes remet en cause l’indépendance du scientifique vis-à-vis des groupes de pression. Si en plus ils communiquent sur le long terme… Cependant, le GIEC a réussi à marquer les esprits à force de discours alarmistes. Le climat est au centre des préoccupations environnementales des Français, après les pollutions de l’air et de l’eau¸ même François Hollande en a pris conscience en novembre 2014.

Le réveil religieux

La Pape François travaille à la rédaction d’une encyclique disant la position de l’Église catholique sur les relations entre l’Homme et la Nature. L’Homme a été trop loin dans la maîtrise de son milieu, risquant l’autodestruction. Et chercher un discours écologiste dans les textes sacrés n’est pas chose aisée…

Et nous ?

Les gouvernants, les entreprises, les collectivités ne prennent pas la mesure de leurs responsabilités. Naomi Klein prétend que la solution ne peut venir que de nous-mêmes. Or nous sommes peu adeptes du changement. A fortiori pour des bénéfices lointains, car nos préoccupations sont à court terme : se nourrir, s’abriter, se reproduire. Lorsque l’intérêt personnel prime, pas facile de changer. Seuls les enfants peuvent apprendre à mettre en place de nouvelles habitudes pour protéger la planète. Apprendre que l’écologie répond aux besoins concrets et immédiats.

Bruno Bourgeon, président d’AID (source Terra Éco)

La Terre est grande à l’échelle de l’égoïsme humain

Interview de Cynthia Fleury, philosophe et professeure à l’Université Américaine de Paris, recueillie par Terra éco.

Pourquoi est-on à ce point indifférent à l’état de notre planète ?

En émettant des GES, nous renforçons un dysfonctionnement qui sera problématique dans quinze, vingt ou cinquante ans. Ce décalage est une question très complexe, car l’agir politique est électoraliste, immédiat.

L’agir des hommes lui-même ne se fait qu’au cours de leur propre existence, voire de leur vie active. La fenêtre de tir est donc sur 40 à 50 ans d’activité réelle. Or, de fait, dans cette échelle de temps, aujourd’hui, vous pouvez encore « passer entre les gouttes ». Ce qui renforce l’inaction.

C’est l’explication structurelle. On a le sentiment de pouvoir échapper au phénomène. Même à l’intérieur des sociétés, il y a toujours une frange de la population qui « échappe à ». Et comme par hasard, c’est celle qui prescrit…

Certes, mais il y a urgence !

Il y a le feu, oui. C’est l’explication conjoncturelle. On assiste à une précarisation extrême et surréaliste. Mais on fait semblant de ne pas voir que cette précarisation est liée à notre système productiviste de captation totale des ressources naturelles, qui fonctionne avec la dérégulation de la finance, soustrayant à l’argent public toute une série de financements qu’il faudrait destiner à des investissements ou à la protection de nos écosystèmes.

Les politiques utilisent encore plus l’alibi de la crise économique pour ne pas penser la crise écologique et pour ne pas comprendre que c’est une même crise qui remet en cause notre système productiviste.

Il y a aussi une raison analytique à notre inaction. Quand l’homme « voit » le pire, il entre dans le déni. Il sent que le mur est déjà là et que l’on va se le prendre. Et quitte à se le prendre, autant y aller à fond… Toutes ces raisons viennent valider le non-agir. Nous avons créé l’avènement de la logique du profit. Or, cette logique est dissociée de ce que demande aujourd’hui la crise environnementale.

Comment en est-on arrivé à nier à quel point la planète est indispensable à notre survie et à celle des générations qui vont nous succéder ?

Les jeunes générations n’ont pas la même attitude. On voit tout de même, quelles que soient les cultures, qu’il y a un réveil, une appétence, la volonté d’un regard différent sur la nature. Je crois que ces générations en ont assez de ce contrat social vampirisé par le capitalisme dérégulé et coupé de la nature. Il ne les fait pas rêver, il ne leur raconte rien.

La place de la nature dans le contrat social, le fait que l’accès aux ressources écologiques va être garant de notre égalité ou inégalité, le poids de la justice environnementale, le « qui paye le fardeau écologique » : les jeunes générations ont conscience de ces nouveaux enjeux, mais elles n’ont pas nécessairement le pouvoir. C’est le début d’une mobilisation.

Cynthia FLEURY

Cynthia Fleury, philosophe et professeure à l’Université Américaine de Paris

Comment faire sans la Terre nourricière, la « Pacha Mama » sud-américaine ?

Tant que la majorité – notamment les élites – pourra s’ajuster sur le dos d’autrui et ajuster son non-changement sur le dos d’autrui, elle le fera. Et, même si la Terre est minuscule, elle ne l’est pas tant que cela à l’échelle de l’égoïsme humain : non éduquée, non conscientisée, la nature humaine s’ajuste sur autrui tant qu’elle peut.

Nous devons comprendre et assimiler que le monde est une frontière alors que nous avions cette idée d’un monde providentiel infini. La réalité nous rattrape : il va y avoir des catastrophes, des phénomènes d’inondation de plus en plus dérégulés. Et par la catastrophe, toutes les problématiques de finitude de la planète se posent.

Ces catastrophes sont donc nécessaires ?

La question ne se pose plus dans ces termes. Le GIEC l’a écrit : nous ne sommes plus dans la possibilité d’empêcher le mur. L’obligation d’adaptation s’est substituée à la possibilité de l’évitement. Nous aurons les inondations, les dérèglements et les réfugiés.

C’est décourageant.

Pour certains, oui. Si on ne pense pas, si on n’anticipe pas, si on n’invente pas, il n’y a pas d’issue. Les trois verbes sur votre couverture – résister, partager et inventer – sont les trois actes majeurs. Sans ces actions combinées, on ne fera que renforcer le dysfonctionnement.

Le prix du courage, vous l’affirmez, est moins élevé que celui de la lâcheté ou du renoncement. Comment procéder ?

Nous devons avoir une réflexion éthique. Il faut une révolution culturelle axée sur la question de l’éducation. Ne pas considérer qu’après 18 ou 25 ans l’éducation s’arrête, surtout aujourd’hui où les compétences ont la vie brève, où la complexité fait que nous avons une obligation de réactualisation de notre savoir.

Cette bagarre-là, de transformer de façon performative une information, c’est notre travail, à nous, les enseignants, les journalistes… A tous ceux qui manient le langage et les catégories de la transmission. Les politiques aussi, qui pourraient avoir plus de courage. Pour ça, il faut changer le mode d’évaluation de l’agir politique.

Cela semble si difficile à atteindre…

Si vous savez que, pour que les changements soient validés, il faut être majoritaire, je réponds oui. C’est terminé. Mais je suis dans la filiation d’Hannah Arendt. Tout ce qui devient trop majoritaire, je m’en méfie pour la qualité de l’Etat de droit.

La démocratie de masse, je la laisse au(x) totalitarisme(s). Je pense que nous ne referons pas demain la massification telle que nous l’avons faite après-guerre. Parce que la massification, dans son uniformisation, sa standardisation, cela demande l’intensification de la production, précisément ce qui nous envoie dans le mur.

Sauf si l’urgence est telle que l’on réagit et que les masses se rassemblent car il n’existe plus d’autre chemin ?

Croire que chacun fera, de son côté, le même diagnostic est utopique. On voit très bien, notamment dans les grands sommets de la Terre, qu’à chaque fois les Etats se font face pour se défausser sur l’autre en disant : « Tu es plus coupable que moi et tant que toi, qui assures telle ou telle responsabilité dans la crise, tu n’auras pas montré tes engagements, moi-même, je serai contre-exemplaire. » Il faut désormais une stratégie pionnière, dissonante.

Vous imaginez donc une issue malheureuse à la COP21, dans quelques mois ?

Je dis qu’il faut cesser d’instrumentaliser le consensus. Tout le monde sait désormais que la nature est une question clé du monde. C’est acquis. Pour le climat, on n’a plus besoin de faire consensus et d’établir un accord à plus de 194 pays. Il vaut mieux, d’emblée, briser le consensus et dire : « Nous, la France, nous voulons qu’à l’issue de la COP21, à Paris, le 11 décembre, onze, douze, trois pays – on s’en fiche –, nous nous donnions tels ou tels engagements pour 2020. » Nous devons trouver les moyens – grâce au référendum, par exemple – de faire exister ce geste souverain, même si cela tourne en notre défaveur productiviste. Tant pis, nous y gagnerons autre chose.

Doit-on attendre les politiques pour emprunter ce chemin ou faut-il plutôt convoquer les citoyens ?

Il nous faut faire tout notre travail d’influence, de pression, de « Name and Shame » (« dénonciation » en anglais) des lobbies et des lâchetés, car je ne suis pas certaine que François Hollande considérera que c’est la stratégie la plus intéressante.

Pourquoi ?

Parce que la France défend – et on peut le comprendre – une stratégie strictement européenne et que celle-ci se joue encore tactiquement à 28. Et parce que les Etats ont encore une vision traditionnelle – et unanimiste – de la gouvernance mondiale.

Comment, à titre individuel, peut-on agir ?

Il y a, c’est classique, le changement de nos propres comportements, avec une palette d’actions disponibles : tri sélectif, rénovation de l’habitat, transformation du comportement alimentaire, ... Il y a aussi une révolution des usages, avec, notamment, la question du partage, des « biens communs ».

Il faut comprendre que le partage est tout sauf facile, spontané, peu sophistiqué. Il demande à l’inverse beaucoup de moyens culturels et techniques, des outils organisationnels, des bases de données, de la compétence numérique, de la confiance…

Il est beaucoup plus facile d’être hyper-productiviste et égoïste, d’avoir chacun sa maison, sa voiture, que de penser des espaces en commun, de partager sa voiture… La non-facilité du partage est contre-intuitive. Tout cela fait appel à de nouvelles compétences, notamment numériques, alors que le partage est la plus vieille idée du monde.

Enfin une voie d’espérance !

Ceux qui veulent – dans les sociétés occidentales, avancées, alphabétisées, plutôt égalitaires, plutôt mixtes – penser autrement la production, la diffusion, l’habitat, l’usage de la mobilité, sont désormais en capacité de le faire.

C’est là où le discours communicationnel s’arrête. Si c’est juste du discours, vous ne le ferez pas. En revanche, si vous êtes prêt à changer, c’est possible. Alors qu’il y a peu ceux qui désiraient changer étaient soumis à des formes de marginalité. Ce n’est plus le cas. La nouvelle génération en a conscience et ce côté « pionnier » l’interpelle.

Cette difficulté vient-elle du fait que nous avons perdu le sens du collectif ?

Certainement. Nous avons mal compris ce que devait être une société des individus. Nous n’avons pas fait de l’individuation, mais de l’individualisme, ce qui me paraît être une erreur. Chacun redécouvre qu’il n’y a pas d’émancipation individuelle sans émancipation collective.

Après le mythe des années 1970, 1980, 1990 où l’on se disait « moi d’abord car je le vaux bien », je crois que nous nous sommes réveillés. C’est la fin de la « l’oréalisation » de la pensée. Disons qu’il y a des alternatives.

Ce que vous défendez là a-t-il un écho suffisant pour qu’on s’encourage mutuellement à aller vers davantage de prise de conscience ?

L’écho est là : chez les universitaires, les médias, les élus des collectivités locales. Les villes ont un rôle à jouer. A la place de l’Etat-Providence, il est nécessaire de penser et bâtir la Ville-Providence. Les villes sont les premières émettrices de GES et les plus susceptibles de réinventer notre rapport à l’environnement.

La vitesse de fonctionnement de nos sociétés contrebalance-t-elle l’urgence de la compréhension ?

Non. Nous allons vite pour ne pas penser. C’est un fonctionnement psychotique lié au culte de la performance. Quand vous commencez à penser, vous n’agissez plus à 2 000 à l’heure, puisque c’est antinomique. Les psychanalystes connaissent cela : quand vous êtes dans le trauma, soit vous êtes dans la sidération, pétrifiés, soit vous êtes dans l’agitation mécanique, en pilotage automatique.

Notre planète serait donc en pilotage automatique ?

En grande partie, oui. Déverrouiller les dénis n’est pas aisé. C’est le travail de la connaissance, de l’éducation.

Vous appelez à la révolution. De quelle révolution s’agit-il ?

Nos sociétés ont besoin d’une révolution culturelle – changement des mentalités et des comportements – et d’une révolution épistémologique – changement de façons de penser et de concevoir intellectuellement –, la dialectique entre les deux n’étant pas linéaire. Or, cela va contre la morale utilitariste capitalistique qui dit : « Agis seulement à condition d’être gagnant. » C’est à l’encontre de ces pseudo-éthiques du résultat (de la rentabilité, en fait) que les vraies révolutions naissent.

Le rassemblement national né en réaction aux attentats contre Charlie Hebdo peut-il accélérer cette révolution culturelle ?

Il est de notre devoir, en tout cas, de mettre au service de ce changement l’événement Charlie. Car là encore, aucune accélération n’est évidente. Rendre ce mouvement durable et créateur, ce sera le défi constant des nouvelles générations.

PUBLICATION

* ZINFOS974 du Lundi 25 Mai 2015 - 15:10

* CLICANOO du Mardi 26 Mai 2015 à 6h15

* Le Quotidien.re du Mercredi 27 Mai 2015 - 04h11

LIENS

* Site TerraEco.net

* Libération du 2 mars 2015 à 12:23 Pourquoi tout le monde se fout de l’écologie


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